IV
LE MOI ET L'AUTRE

 

 

 

La résistance et le transfert.

Le sentiment de la présence.

Verwerfung ≠ Verdrängung.

Médiation et révélation.

Les inflexions de la parole.

 

 

Nous sommes arrivés la dernière fois à un point où nous nous demandions quelle est la nature de la résistance.

Vous avez bien senti qu'il y a de l'ambiguïté, et pas seulement de la complexité, dans notre approche de ce phénomène de la résistance. Plusieurs formulations de Freud semblent montrer que la résistance émane de ce qui est à révéler, c'est-à-dire du refoulé, du verdrängtou encore de 1' unterdrückt.

Les premiers traducteurs ont traduit unterdrücktpar étouffé– c'est bien mou. Est-ce la même chose, verdrängtou unterdrückt ? Nous n'allons pas entrer dans ces détails. Nous ne le ferons que quand nous aurons commencé à voir s'établir dans l'expérience des distinctions entre ces phénomènes.

Je voudrais vous amener aujourd'hui, dans les Ecrits techniques,à un de ces points où la perspective s'établit. Avant de manier le vocabulaire, il s'agit d'essayer de comprendre, et, à cette fin, de se placer en un lieu d'où les choses s'ordonnent.

A la présentation de malades du vendredi, je vous ai annoncé la lecture d'un texte significatif, et je vais essayer de tenir ma promesse.

Il y a, au beau milieu du recueil des écrits dits techniques, un texte qui s'appelle la Dynamique du transfert. Comme tous les textes de ce recueil, on ne peut pas dire que nous ayons lieu d'être entièrement satisfaits de sa traduction. Il y a de singulières inexactitudes, qui vont jusqu'aux limites de l'impropriété. Il y en a d'étonnantes. Elles vont toutes dans le même sens, qui est d'effacer les arêtes du texte. A ceux qui savent l'allemand, je ne saurais trop recommander de se reporter au texte original. Je vous signale dans la traduction une coupure, un point mis à l'avant-dernière ligne, qui isole une toute petite phrase qui a l'air de venir là on ne sait pourquoi – Enfin, rappelons-nous, nul ne peut être tué in absentia ou in effigie. Dans le texte allemand, il y a – ... car il faut se rappeler que nul ne peut être tué in absentia ou in effigie. C'est articulé à la phrase précédente. Isolée, la phrase ne se comprend pas, alors que le texte de Freud est parfaitement articulé.

Le passage de cet article que je vous ai annoncé, je vais vous le lire. Vous le trouverez page 55 de la traduction française. Il s'articule directement avec ce passage important des Studien que je vous ai rappelé, où il s'agit de la résistance rencontrée par approximation dans le sens radial comme dit Freud, du discours du sujet, quand il se rapproche de la formation profonde que Freud appelle noyau pathogène.

Etudions un complexe pathogène parfois très apparent et parfois presque imperceptible... Je traduirai plutôt – ou bien apparent comme symptôme, ou bien impossible à appréhender, non-manifeste – car il s'agit de la façon dont le complexe se traduit, et c'est de la traduction du complexe qu'on dit qu'elle est apparente ou qu'elle est imperceptible. Ce n'est pas la même chose que de dire que le complexe, lui, l'est. Il y a dans la traduction française un  déplacement qui suffit à produire un flottement. Je continue – ... depuis sa manifestation dans le conscient jusqu'à ses racines dans l’inconscient, nous parvenons bientôt dans une région où la résistance se fait si nettement sentir que l’association qui surgit alors en porte la marque – de cette résistance – et nous apparaît comme un compromis entre les exigences de cette résistance et celle du travail d'investigation. Ce n'est pas tout à fait l’association qui surgit, c'est nächste Einfall, la plus proche, la prochaine association, mais enfin le sens est conservé. L'expérience – là est le point capital – montre que c'est ici que surgit le transfert. Lorsque quelque chose, parmi les éléments du complexe (dans le contenu de celui-ci) est susceptible de se reporter sur la personne du médecin, le transfert a lieu, fournit l'idée suivante et se manifeste sous forme d'une résistance, d'un arrêt des associations par exemple. De pareilles expériences nous enseignent que l'idée de transfert est parvenue de préférence à toutes les autres associations possibles à se glisser jusqu'au conscient, justement parce quelle satisfait la résistance. Ce dernier membre de phrase est souligné par Freud. Un fait de ce genre se reproduit un nombre incalculable de fois, au cours d'une psychanalyse. Toutes les fois que l'on se rapproche d'un complexe pathogène, c'est d'abord la partie complexe pouvant devenir transfert qui se trouve poussée vers le conscient et que le patient s'obstine à défendre avec la plus grande ténacité.

Les éléments de ce paragraphe à mettre en relief sont ceux-ci. D'abord, nous parvenons bientôt dans une région où la résistance se fait nettement sentir. Cette résistance émane du processus même du discours, de son approximation, si je puis dire. Deuxièmement, l’expérience montre que c'est ici que surgit le transfert. Troisièmement, le transfert se produit justement parce qu'il satisfait la résistance. Quatrièmement, un fait de ce genre se reproduit un nombre incalculable de fois au cours d'une psychanalyse. Il s'agit bien d'un phénomène sensible dans l'analyse. Et cette partie du complexe qui s'est manifestée sous la forme transfert se trouve poussée vers le conscient à ce moment-là. Le patient s'obstine à le défendre avec la plus grande ténacité.

Ici s'accroche une note qui met en relief le phénomène dont il s'agit, phénomène en effet observable, quelquefois avec une pureté extraordinaire. Cette note recoupe une indication qui émane d'un autre texte de Freud – Quand le patient se tait, il y a toutes les chances que ce tarissement de son discours soit dû à quelque pensée qui se rapporte à l'analyste.

Dans un maniement technique qui n'est pas rare, mais que nous avons tout de même appris à nos élèves à mesurer, à refréner, cela se traduit par une question du type – Sans doute avez-vous quelque idée qui se rapporte à moi ? Cette sollicitation cristallise parfois les discours du patient dans quelques remarques qui concernent soit la tournure, soit la figure, soit le mobilier de l'analyste, soit la façon dont l'analyste l'a accueilli ce jour-là, etc. Ce maniement n'est pas sans fondement. Quelque chose de cet ordre peut habiter à ce moment-là l'esprit du patient, et en focalisant ainsi ses associations, on peut en extraire des choses très diverses. Mais l'on observe quelquefois un phénomène infiniment plus pur.

Au moment où il semble prêt à formuler quelque chose de plus authentique, de plus brûlant que ce qu'il a jamais pu atteindre jusqu'alors, le sujet, dans certains cas, s'interrompt, et émet un énoncé qui peut être celui-ci – Je réalise soudain le fait de votre présence.

C'est là une chose qui m'est arrivée plus d'une fois et dont les analystes peuvent facilement apporter le témoignage. Ce phénomène s'établit en connexion avec la manifestation concrète de la résistance qui intervient dans le tissu même de notre expérience en fonction du transfert. S'il prend valeur sélective, c'est que le sujet ressent alors lui-même comme un brusque virage, un tournant subit qui le fait passer d'un versant à l'autre du discours, d'un accent à un autre de la fonction de la parole.

J'ai voulu mettre tout de suite devant vous ce phénomène bien centré, qui éclaire notre propos aujourd'hui. C'est le point qui va nous permettre de repartir pour poser nos questions.

Avant de poursuivre cette marche, je veux rester un moment sur le texte de Freud pour bien vous montrer combien ce dont je vous parle est la même chose que ce dont il parle. Il faut qu'un instant vous vous dégagiez de l'idée que la résistance est cohérente avec cette construction selon laquelle l'inconscient est, dans un sujet donné, à un moment donné, contenu et, comme on dit, refoulé. Quelle que soit l'extension que nous puissions donner ultérieurement au terme de résistance dans sa connexion avec l'ensemble des défenses, la résistance est un phénomène que Freud localise dans l'expérience analytique.

C'est pour cette raison que la petite note appendue au passage que je vous ai lu, est importante – Freud met là les points sur les i.

Il ne faudrait pas conclure cependant à une importance pathogénique... – c'est bien ce que je suis en train de vous dire, il ne s'agit pas de la notion que nous nous faisons après-coup de ce qui a motivé, au sens profond du terme, les étapes du développement du sujet – ... d'une importance pathogénique particulièrement grande de l'élément choisi en vue de la résistance de transfert. Quant au cours d'une bataille, les combattants se disputent avec acharnement la possession de quelque petit clocher ou de quelque ferme, nous n'en déduisons pas que cette église est un sanctuaire national, ni que la ferme abrite les trésors de l'armée. La valeur des lieux peut être tactique et n'exister que pour seul combat.

C'est dans le mouvement par où le sujet s'avoue qu'apparaît un phénomène qui est résistance. Quand cette résistance devient trop forte, surgit le transfert.

C'est un fait que le texte ne dit pas un phénomène de transfert. Si Freud avait voulu dire apparaît un phénomène de transfert,il l'aurait dit. La preuve que cette différence est significative, c'est la fin de l'article. Dans la dernière phrase, celle qui commence par Avouons que rien n'est plus difficile en analyse que..., on a traduit en français vaincre les résistances, tandis que le texte dit die Bezwingung der Ùbertràgunsgsphänomene, c'est-à-dire le forçage des phénomènes de transfert. J'utilise ce passage pour vous montrer que überträgunsgsphänomene est du vocabulaire de Freud. Pourquoi d'ailleurs l'a-t-on traduit par résistance? Ce n'est pas un signe de grande culture, sinon de grande compréhension.

Ce que Freud a écrit, c'est que là précisément surgit, non pas le phénomène même de transfert, mais un phénomène en rapport essentiel avec lui.

Quant au reste, il s'agit, tout au long de cet article, de la dynamique du transfert. Je ne prends pas dans leur ensemble toutes les questions qui sont posées là, car elles touchent à la spécificité du transfert en analyse, au fait que le transfert n'est pas là comme il est partout ailleurs, mais qu'il y joue une fonction tout à fait particulière. Je vous conseille de lire cet article. Je l'amène ici seulement à l'appui de notre étude de la résistance. C'est néanmoins, vous le verrez, le point-pivot de ce dont il s'agit dans la dynamique du transfert.

Qu'est-ce que cela peut nous apprendre sur la nature de la résistance ? Cela peut nous permettre de répondre à la question qui parle? et donc de savoir ce que veut dire la reconquête, la retrouvaille de l'inconscient.

Nous avons posé la question de ce que signifient mémoire, remémoration, technique de remémoration, de ce que signifie la libre association en tant qu'elle nous permet d'accéder à une formulation de l'histoire du sujet. Mais que devient le sujet ? Au cours de ce progrès, est-ce toujours du même sujet qu'il s'agit ?

Nous voilà devant un phénomène où nous saisissons un noeud dans ce progrès, une connexion, une pression originelle, ou plutôt, à proprement parler, une résistance. Nous voyons en un certain point de cette résistance se produire ce que Freud appelle le transfert, c'est-à-dire ici l'actualisation de la personne de l'analyste. En l'extrayant de mon expérience, je vous ai dit tout à l'heure qu'au point le plus sensible, me semble-t-il, et le plus significatif du phénomène, le sujet le ressent comme la brusque perception de quelque chose qui n'est pas si facile à définir, la présence.

C'est là un sentiment que nous n'avons pas tout le temps. Certes, nous sommes influencés par toutes sortes de présences, et notre monde n'a sa consistance, sa densité, sa stabilité vécue, que parce que, d'une certaine façon, nous tenons compte de ces présences, mais nous ne les réalisons pas comme telles. Vous sentez bien que c'est un sentiment dont je dirai que nous tendons sans cesse à l'effacer de la vie. Ça ne serait pas facile de vivre si, à tout instant, nous avions le sentiment de la présence avec tout ce qu'elle comporte de mystère. C'est un mystère que nous écartons, et auquel, pour tout dire, nous nous sommes faits.

Je crois que c'est là quelque chose sur lequel nous ne saurions nous arrêter trop longtemps. Et nous allons essayer de le prendre par d'autres bouts, car ce que Freud nous enseigne, la bonne méthode analytique, consiste à retrouver toujours un même rapport, une même relation, un même schème, qui se présente à la fois dans des formes vécues, des comportements, et, aussi bien, à l'intérieur de la relation analytique.

Il s'agit pour nous d'établir une perspective, une perception en profondeur de plusieurs plans. Des notions comme le ça et le moi, que nous sommes habitués par certains maniements à poser de façon massive, ne sont peut-être pas simplement une paire contrastée. Il faut là étager une stéréoscopie un peu plus complexe.

 

A ceux qui ont assisté à mon commentaire de L'Homme aux loups – déjà si loin maintenant, il y a un an et demi – je voudrais rappeler certains points particulièrement frappants de ce texte.

Au moment où il aborde la question du complexe de castration chez son patient, question qui occupe une fonction extrêmement particulière dans la structuration de ce sujet, Freud formule le problème suivant. Lorsque la crainte de la castration entre en question chez ce sujet, des symptômes apparaissent, qui se situent sur le plan que nous appelons communément anal, puisque ce sont des manifestations intestinales. Or, tous ces symptômes, nous les interprétons dans le registre de la conception anale des rapports sexuels, nous considérons qu'ils témoignent d'une certaine étape de la théorie infantile de la sexualité. De quel droit ? Du fait même que la castration est entrée en jeu, le sujet ne s'est-il pas élevé à un niveau de structure génital ? Quelle est l'explication de Freud ?

Alors que le sujet, dit Freud, était parvenu à une première maturation, ou pré-maturation, infantile, et qu'il était mûr pour réaliser, au moins partiellement, une structuration plus spécifiquement génitale du rapport de ses parents, il a refusé la position homosexuelle qui est la sienne dans ce rapport, il n'a pas réalisé la situation oedipienne, il a refusé, rejeté – le mot allemand est verwirft – tout ce qui est du plan de la réalisation génitale. Il est retourné à sa vérification antérieure de cette relation affective, il s'est replié sur les positions de la théorie anale de la sexualité.

Ce n'est même pas un refoulement, au sens où un élément qui aurait été réalisé sur un certain plan se trouverait repoussé. Refoulement, dit-il page III, est autre chose – Eine Verdrängung ist etwas anderes als eine Verwerfung. Dans la traduction française, due à des personnes que leur intimité avec Freud aurait dû peut-être un peu plus illuminer – mais sans doute ne suffit-il pas d'avoir porté la relique d'une personnalité éminente pour être autorisée à s'en faire la gardienne – on traduit – un refoulement est autre chose qu’un jugement qui rejette et choisit. Pourquoi traduire Verwerfung ainsi ? Je conviens que c'est difficile, mais la langue française...

 

M. Hyppolite : – Rejet ?

 

Oui, rejet. Ou, à l'occasion, refus. Pourquoi introduire un jugement tout d'un coup là-dedans, à un niveau où nulle part il n'y a trace de Urteil ? Il y a Verwerfung. Trois pages plus loin, à la ligne onze, après l'élaboration des conséquences de cette structure, Freud conclut en disant – Kein Urteil tiber seine... C'est la première fois qu'Urteil vient sous sa plume, pour boucler le passage. Mais, ici, il n'y en a pas. Aucun jugement n'a été porté sur l'existence du problème de la castration – Aber etwas so, mais les choses sont là, als ob sie nicht, comme si elles n'existaient pas.

Cette articulation importante nous indique qu'à l'origine, pour que le refoulement soit possible, il faut qu'il existe un au-delà du refoulement, quelque chose de dernier, déjà constitué primitivement, un premier noyau du refoulé, qui non seulement ne s'avoue pas, mais qui, de ne pas se formuler, est littéralement comme si cela n'existait pas-je suis là ce que dit Freud. Et pourtant, en un certain sens, il est quelque part, puisque, Freud nous le dit partout, il est le centre d'attraction qui appelle à lui tous les refoulements ultérieurs.

Je dirai que c'est l'essence même de la découverte freudienne.

Pour expliquer comment se produit un refoulement de tel ou tel type, hystérique ou obsessionnel, il n'est pas besoin, en fin de compte, de recourir à une prédisposition innée. Freud l'admet à l'occasion comme un grand cadre général, mais jamais comme un principe. Lisez Bemer-kungen tiber Neurosen, le second article, en 1898, sur les névroses de défense.

Les formes que prend le refoulement sont attirées par ce premier noyau, que Freud attribue alors à une certaine expérience, qu'il appelle l'expérience originelle du trauma. Nous reprendrons par la suite la question de ce que veut dire trauma, dont la notion a dû être relativée, mais retenez ceci que le noyau primitif est d'un autre niveau que les avatars du refoulement. Il en est le fond et le support.

Dans la structure de ce qui arrive à l'homme aux loups, le Verwerfung de la réalisation de l'expérience génitale est un moment tout à fait particulier, que Freud lui-même différencie de tous les autres. Chose singulière, ce qui est là exclu de l'histoire du sujet, et qu'il est incapable de dire, il a fallu, pour en venir à bout, le forçage de Freud. C'est alors seulement que l'expérience répétée du rêve infantile a pris son sens, et a permis, non pas le revécu, mais la reconstruction directe de l'histoire du sujet.

Je suspends un moment le thème de L'Homme aux loups pour prendre les choses à un autre bout. Prenons la Traumdeutung, au chapitre sept, consacré aux processus du rêve, Traumvorgänge.

Freud commence par résumer ce qui se dégage de tout ce qu'il a élaboré au cours de son livre.

La cinquième partie du chapitre commence par cette phrase magnifique – Il est bien difficile de rendre par la description d'une succession... – car il réélabore une fois de plus tout ce qu'il a déjà expliqué sur le rêve – ... la simultanéité d'un processus compliqué, et en même temps de paraître aborder chaque nouvel exposé sans idée préconçue.

Cette phrase indique bien les difficultés mêmes que j'ai ici, moi aussi, à reprendre sans cesse ce problème qui est toujours présent à notre expérience, car il faut bien, sous diverses formes, arriver à le créer à chaque fois sous un angle neuf. Freud nous explique qu'il faut refaire, à chaque fois, l'innocent.

Il y a dans ce chapitre un progrès où nous touchons du doigt quelque chose de vraiment très singulier. Freud énumère toutes les objections qu'on peut faire sur la valabilité du souvenir du rêve. Qu'est-ce que c'est que le rêve? La reconstitution qu'en fait le sujet est-elle exacte? Quelle garantie avons-nous qu'une verbalisation ultérieure n'y est pas mêlée ? Tout rêve n'est-il pas chose instantanée, à laquelle la parole du sujet donne une histoire? Freud écarte toutes ces objections, et montre qu'elles ne sont pas fondées. Et il le montre en soulignant ceci, qui est tout à fait singulier, que plus le texte que le sujet nous donne est incertain, plus il est significatif. C'est au doute même que le sujet porte sur certaines parties du rêve que lui, Freud, qui l'écoute, qui l'attend, qui est là pour en révéler son sens, reconnaît justement ce qui est important. Parce que le sujet doute, on doit être sûr.

Mais à mesure que le chapitre s'avance, le procédé s'amenuise à un point tel que, à la limite, le rêve le plus significatif serait le rêve complètement oublié, dont le sujet ne pourrait rien dire. C'est à peu près ce que Freud écrit – On peut souvent retrouver par l'analyse tout ce que l'oubli a perdu ; dans toute une série de cas, du moins, quelques bribes permettent de retrouver non point le rêve même, ce qui est accessoire, mais les pensées qui sont à sa base. Quelques bribes – c'est bien ce que je vous dis, du rêve il ne reste plus rien.

Qu'est-ce qui, aussi bien, intéresse Freud? Là, nous tombons sur les pensées qui sont à sa base.

Le terme pensée, il n'y a rien de plus difficile à manier pour des gens qui ont appris la psychologie. Et comme nous avons appris la psychologie, ces pensées sont pour nous ce que nous voulons sans cesse dans notre tête, en gens habitués à penser...

Mais peut-être que les pensées qui sont à sa base, nous sommes suffisamment éclairés par toute la Traumdeutung pour nous apercevoir que ce n'est pas ce qu'on croit quand on fait des études sur la phénoménologie de la pensée, la pensée sans images ou avec images, etc. Ce n'est pas ce que nous appelons couramment la pensée, puisque ce dont il s'agit tout le temps, c'est d'un désir.

Dieu sait que ce désir, nous avons appris au cours de notre recherche à nous apercevoir qu'il court comme un furet que nous voyons disparaître et reparaître, dans un jeu de passe-passe. En fin de compte, nous ne savons toujours pas si il est à situer du côté de l'inconscient ou du côté du conscient. Et désir de qui ? et de quel manque surtout ?

Freud illustre ce qu'il veut dire par un exemple, dans une petite note qu'il extrait de l’Introduction à la psychanalyse.

Une malade, à la fois sceptique et très intéressée par lui, Freud, lui raconte un rêve assez long, au cours duquel, dit-elle, certaines personnes lui parlent du livre sur le Witz, et lui en disent du bien. Tout cela ne semble rien apporter. Il est ensuite question d'autre chose, et tout ce qui reste du rêve, c'est cela – canal. Peut-être un autre livre où il y a ce mot, quelque chose où il est question de canal... elle ne sait pas, c'est tout à fait obscur.

Il reste donc canal, et on ne sait pas à quoi ça se rapporte, ni d'où ça vient, ni où ça va. Eh bien, c'est ça qui est le plus intéressant, dit-il, ça qui n'est qu'une toute petite bribe, avec autour une aura d'incertitude.

Et qu'est-ce que ça donne? Le lendemain, non pas le jour même, elle raconte qu'elle a une idée qui se rattache à canal. C'est précisément un trait d'esprit. Une traversée de Douvres à Calais, un Anglais et un Français.

Au cours de la conversation, l'Anglais cite le mot célèbre – Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas. Et le Français, galant, répond – Oui, le Pas-de-Calais, ce qui est particulièrement gentil pour l'interlocuteur. Or, le Pas-de-Calais, c'est le canal de la Manche. On retrouve donc le canal, et du même coup quoi ? Faites bien attention, car ça a la même fonction que le surgissement de la présence au moment des résistances : La malade sceptique a débattu longuement auparavant du mérite de la théorie de Freud sur le trait d'esprit. Après sa discussion, au moment où son discours hésite et ne sait plus où aller, le même phénomène exactement apparaît – comme disait l'autre jour Mannoni, qui m'a semblé très heureux, car il parlait en accoucheur, la résistance se présente par le bout transférentiel.

Du sublime au ridicule, il n'y a qu’un pas – voilà le point où le rêve s'accroche à l'auditeur, car ça, c'est pour Freud.

Ainsi, canal, ce n'était pas beaucoup, mais après les associations, c'est indiscutable.

Je voudrais prendre d'autres exemples.

Dieu sait si Freud est sensible dans son groupement des faits, et ce n'est pas par hasard que les choses viennent se réunir dans certains chapitres. Par exemple, il arrive dans le rêve, au moment où il prend une certaine orientation, des phénomènes qui sont tout spécialement d'ordre linguistique. Une faute de langage est faite par le sujet, en toute conscience. Le sujet sait, dans le rêve, que c'est une faute de langage, puisque un personnage y intervient pour le corriger. En un point critique, il y a donc là une adaptation qui se réalise mal, et dont la fonction se dédouble sous nos yeux. Mais laissons cela de côté, pour l'instant.

Prenons encore – je l'ai choisi ce matin, un peu au hasard – cet exemple célèbre que Freud a publié dès 1898 dans son premier chapitre de la Psychopathologie de la vie quotidienne. Freud se réfère, à propos de l'oubli des noms, à la peine qu'il eut un jour, dans une relation avec un interlocuteur de voyage, à évoquer le nom de l'auteur de la fresque célèbre de la cathédrale d'Orvieto, vaste composition manifestant les phénomènes attendus pour la fin du monde et centrée sur l'apparition de l'Antéchrist. L'auteur de cette fresque est Signorelli, et Freud n'arrive pas à en retrouver le nom. Il en vient d'autres – c'est ça, ce n'est pas ça-Botticelli, Boltraffio..., il n'arrive pas à retrouver Signorelli.

Il y parvient enfin grâce à un procédé analytique. Car il ne surgit pas du néant, ce petit phénomène, il est inséré dans le texte d'une conversation. Ils vont à ce moment-là de Raguse vers l'intérieur de la Dalmatie, et ils sont à peu près à la limite de l'empire autrichien, en Bosnie-Herzégovine. Ce mot de Bosnie donne lieu à un certain nombre d'anecdotes, et Herzégovine aussi. Puis viennent quelques remarques sur une disposition particulièrement sympathique de la clientèle musulmane qui est, dans une certaine perspective, primitive, et qui témoigne ici d'une extraordinaire décence. A l'annonce par le médecin d'une très mauvaise nouvelle, que la maladie est incurable – l'interlocuteur de Freud semble en effet être un médecin qui a une pratique dans cette région – ces gens ont laissé se manifester quelque sentiment d'hostilité à son égard. Aussi s'adressent-ils à lui tout de suite après, en disant – Herr, s'il y avait eu quelque chose à faire, vous auriez été sûrement capable de le faire. Ils sont alors en présence d'un fait qu'il faut accepter, d'où leur attitude mesurée, courtoise, respectueuse, à l'égard du médecin nommé Herr, en allemand. Tout cela forme le fond sur lequel semble s'établir la suite de la conversation, ponctuée de l'oubli significatif qui propose son problème à Freud.

Freud indique qu'il prenait bien part à la conversation, mais qu'à partir d'un certain moment, son attention a été portée ailleurs – pendant le temps même qu'il parlait, il pensait à autre chose, à quoi le conduisait cette histoire médicale.

D'une part, il lui revenait à l'esprit le prix qu'attachent les patients, spécialement islamiques, à tout ce qui est de l'ordre des fonctions sexuelles. Littéralement, un patient qui l'avait consulté pour des troubles de puissance sexuelle, lui avait dit – Si on n'a plus ça, la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. D'autre part, il se souvenait avoir appris, dans un des endroits où il avait séjourné, la mort d'un de ses patients, qu'il avait très longtemps soigné, chose qu'on n'apprend pas, dit-il, sans quelque secousse. Il n'avait pas voulu exprimer ces pensées concernant la valorisation des processus sexuels, parce qu'il n'était pas très sûr de son interlocuteur. Et puis, il n'avait pas volontiers arrêté sa pensée sur le sujet de la mort de ce malade. Mais pensant à tout cela, il avait retiré son attention de ce qu'il était en train de dire.

Freud fait dans son texte un très joli petit tableau – reportez-vous à l'édition Imago – où il écrit tous les noms – Botticelli, Boltraffio, Herzégovine, Signorelli, et en bas les pensées refoulées, le son Herr et la question. Le résultat, c'est ce qui est resté. Le mot Signor a été appelé par le Herr de ces musulmans si polis, Traffio a été appelé par le fait qu'il avait reçu là le choc de la mauvaise nouvelle concernant son patient. Ce qu'il a pu retrouver, au moment où son discours cherchait l'auteur de la fresque d'Orvieto, c'est ce qui restait disponible, après qu'un certain nombre d'éléments radicaux avaient été appelés par ce qu'il nomme le refoulé, c'est-à-dire les idées concernant les histoires sexuelles des Musulmans, et le thème de la mort.

Qu'est-ce à dire? Le refoulé n'était pas si refoulé que ça, puisque, s'il n'en a pas parlé à son compagnon de voyage, il nous le donne tout de suite dans son texte. Mais tout se passe, en effet, comme si ces mots – on peut bien parler de mots même si ces vocables sont des parties de mots, car ils ont une vie de mots individuels – c'était la partie du discours que Freud avait vraiment à tenir à son interlocuteur. Il ne l'a pas dit, bien qu'il ait commencé. C'est ça qui l'intéressait, c'est ça qu'il était prêt à dire, et pour ne pas l'avoir dit, il lui est resté, dans la suite de sa connexion avec cet interlocuteur, des débris, des morceaux, les chutes de cette parole.

Ne voyez-vous pas, là, combien ce phénomène, qui se passe au niveau de la réalité, est complémentaire de ce qui se passe au niveau du rêve? Ce à quoi nous assistons, c'est à l'émergence d'une parole véridique.

Dieu sait si elle peut retentir loin, cette parole véridique. De quoi s'agit-il ? – sinon de l'absolu, à savoir de la mort, qui est là présente, et à quoi Freud nous dit qu'il a préféré, et non pas simplement en raison de son interlocuteur, ne pas trop s'affronter. Dieu sait aussi que le problème de la mort est vécu par le médecin comme un problème de maîtrise. Or, le médecin en l'occurrence, Freud, comme l'autre, a perdu – c'est toujours ainsi que nous ressentons la perte du malade, surtout quand nous l'avons soigné longtemps.

Qu'est-ce qui décapite donc le Signorelli ? Tout se concentre en effet autour de la première partie de ce nom, et de son retentissement sémantique. C'est dans la mesure où la parole, celle qui peut révéler le secret le plus profond de l'être de Freud, n'est pas dite, que Freud ne peut plus s'accrocher à l'autre qu'avec les chutes de cette parole. Ne restent que les débris. Le phénomène d'oubli est là, manifesté par, littéralement, la dégradation de la parole dans son rapport avec l'autre.

Or – voilà où je veux en venir à travers tous ces exemples – c'est dans la mesure où l'aveu de l'être n'arrive pas à son terme que la parole se porte tout entière sur le versant où elle s'accroche à l'autre.

Il n'est pas étranger à l'essence de la parole, si je puis dire, de s'accrocher à l'autre. La parole est médiation sans doute, médiation entre le sujet et l'autre, et elle implique la réalisation de l'autre dans la médiation même. Un élément essentiel de la réalisation de l'autre est que la parole puisse nous unir à lui. C'est là ce que je vous ai surtout enseigné jusqu'à présent, parce que c'est dans cette dimension que nous nous déplaçons sans cesse.

Mais il y a une autre face de la parole qui est révélation.

Révélation, et non expression – l'inconscient n'est pas exprimé, si ce n'est par déformation, Entstellung, distorsion, transposition. J'ai écrit cet été Fonction et champ de la parole et du langage, sans y mettre, intentionnellement, le terme d'expression, car toute l'oeuvre de Freud se déploie dans le sens de la révélation, et non pas de l'expression. La révélation est le ressort dernier de ce que nous cherchons dans l'expérience analytique.

La résistance se produit au moment où la parole de révélation ne se dit pas, où – comme Streba l'écrit très curieusement à la fin d'un article exécrable, mais si candide, et qui centre toute l'expérience analytique autour du dédoublement de l'ego, dont une moitié doit venir à notre aide contre l'autre – où le sujet ne peut plus s'en sortir. Il s'accroche à l'autre parce que ce qui est poussé vers la parole n'y a pas accédé. La venue arrêtée de la parole, pour autant que quelque chose peut-être la rend fondamentalement impossible, c'est là le point-pivot où, dans l'analyse, la parole bascule tout entière sur sa première face et se réduit à sa fonction de rapport à l'autre. Si la parole fonctionne alors comme médiation, c'est de ne pas s'être accomplie comme révélation.

La question est toujours de savoir à quel niveau se produit l'accrochage de l'autre. Il faut être aussi enniaisé qu'on peut l'être par certaine façon de théoriser, de dogmatiser et de s'enrégimenter dans la technique analytique, pour nous avoir dit un jour qu'une des conditions préalables du traitement analytique, c'était quoi ? – que le sujet ait une certaine réalisation de l'autre comme tel. Bien sûr, gros malin ! Mais il s'agit de savoir à quel niveau cet autre est réalisé, et comment, dans quelle fonction, dans quel cercle de sa subjectivité, à quelle distance est cet autre.

Au cours de l'expérience analytique, cette distance varie sans cesse. Quelle sottise de prétendre la considérer comme un certain stade du sujet !

C'est le même esprit qui fait parler à M. Piaget de la notion égocentrique du monde de l'enfant. Comme si les adultes sur ce sujet avaient à en remontrer aux gosses ! Et je voudrais bien savoir, dans les balances de l'Éternel, qu'est-ce qui pèse comme la meilleure appréhension de l'autre, celle que peut avoir M. Piaget, dans sa position de professeur, et à son âge, ou celle qu'a un enfant ! Cet enfant, nous le voyons prodigieusement ouvert à tout ce que l'adulte lui apporte du sens du monde. Réfléchit-on jamais à ce que signifie, pour ce qui est du sentiment de l'autre, cette prodigieuse perméabilité à tout ce qui est mythe, légende, conte de fées, histoire, cette facilité à se laisser envahir par les récits? Croit-on que c'est compatible avec les petits jeux de cubes grâce à quoi M. Piaget nous montre que l'enfant accède à une connaissance copernicienne du monde ?

Il s'agit de savoir comment, à un moment donné, pointe vers l'autre ce sentiment si mystérieux de la présence. Peut-être est-il intégré à ce dont Freud nous parle dans la Dynamique du transfert, c'est-à-dire à toutes les structurations préalables, non seulement de la vie amoureuse du sujet, mais de son organisation du monde.

Si je devais isoler la première inflexion de la parole, le moment premier où s'infléchit dans sa courbe toute la réalisation de la vérité du sujet, le niveau premier où la captation de l'autre prend sa fonction, je l'isolerais dans une formule qui m'a été donnée par un de ceux qui sont ici et que je contrôle. Je lui demandais – Où est-ce qu'il en est, votre sujet, à votre égard cette semaine? Il m'a alors donné une expression qui coïncide exactement avec ce que j'avais essayé de situer dans cette inflexion – Il m'a pris à témoin. Et, en effet, c'est bien là une des fonctions les plus élevées, mais déjà défléchies, de la parole – la prise à témoin.

Un peu plus loin, ce sera la séduction. Un peu plus loin encore, la tentative de capter l'autre dans un jeu où la parole passe même – l'expérience analytique nous l'a bien montré – à une fonction plus symbolique, à une satisfaction instinctive plus profonde. Sans compter le dernier terme – désorganisation complète de la fonction de la parole dans les phénomènes de transfert, où le sujet, note Freud, se libère tout à fait et arrive à faire exactement ce qui lui plaît.

En fin de compte, ce à quoi nous sommes ramenés par cette considération, n'est-ce pas ce dont je suis parti dans mon rapport sur les fonctions de la parole? à savoir l'opposition de la parole vide et de la parole pleine, parole pleine en tant qu'elle réalise la vérité du sujet, parole vide par rapport à ce qu'il a à faire hic et nunc avec son analyste, où le sujet s'égare dans les machinations du système du langage, dans le labyrinthe des systèmes de référence que lui donne l'état culturel où il a plus ou moins partie prenante. Entre ces deux extrêmes, se déploie toute une gamme de réalisation de la parole.

Cette perspective nous mène exactement à ceci – la résistance dont il s'agit projette ses résultats sur le système du moi, pour autant que le système du moi n'est même pas concevable sans le système, si l'on peut dire, de l'autre. Le moi est référentiel à l'autre. Le moi se constitue par rapport à l'autre. Il en est corrélatif. Le niveau auquel l'autre est vécu situe exactement le niveau auquel, littéralement, le moi existe pour le sujet.

La résistance, en effet, s'incarne dans le système du moi et de l'autre. Elle s'y réalise à tel ou tel moment de l'analyse. Mais c'est d'ailleurs qu'elle part, à savoir de l'impuissance du sujet à aboutir dans le domaine de la réalisation de sa vérité. D'une façon sans doute plus ou moins définie pour tel sujet par les fixations de son caractère et de sa structure, c'est toujours à un certain niveau, dans un certain style de la relation à l'autre, que vient se projeter l'acte de la parole.

A partir de ce moment-là, voyez le paradoxe de la position de l'analyste. C'est au moment où la parole du sujet est la plus pleine que moi, analyste, je pourrais intervenir. Mais j'interviendrais sur quoi ? – sur son discours. Or, plus le discours est intime au sujet, plus je me centre sur ce discours. Mais l'inverse est également vrai. Plus son discours est vide, plus je suis amené, moi aussi, à me rattraper à l'autre, c'est-à-dire à faire ce qu'on fait tout le temps, dans cette fameuse analyse des résistances, à chercher l'au-delà de son discours – au-delà, réfléchissez bien, qui n'est nulle part, au-delà que le sujet a à réaliser, mais qu'il n'a pas, justement, réalisé, et qui est alors fait de mes projections à moi, au niveau où le sujet le réalise à ce moment-là.

Je vous ai montré la dernière fois les dangers des interprétations ou imputations intentionnelles, qui, vérifiées ou non, susceptibles ou non de vérifications, ne sont en vérité pas plus vérifiables que n'importe quel système de projections. Et c'est bien là la difficulté de l'analyse.

Quand nous disons que nous faisons l'interprétation des résistances, nous sommes en présence de cette difficulté – comment opérer à un certain niveau de moindre densité du rapport de la parole ? Comment opérer dans cette interpsychologie, ego et alter ego, où nous réduit la dégradation même du processus de la parole ? En d'autres termes, quels sont les rapports possibles entre cette intervention de la parole qu'est l'interprétation, et le niveau de l'ego, en tant que ce niveau implique toujours corrélativement l'analysé et l'analyste? Lorsque la fonction de la parole a si bien versé dans le sens de l'autre qu'elle n'est même plus médiation, mais seulement violence implicite, réduction de l'autre à une fonction corrélative du moi du sujet, que pouvons-nous faire pour manier encore valablement la parole dans l'expérience analytique ?

Vous sentez le caractère oscillant du problème. Il nous ramène à cette question – qu'est-ce que veut dire cet appui pris dans l'autre? Pourquoi l'autre devient-il d'autant moins vraiment autre qu'il prend plus exclusivement la fonction d'appui?

C'est de ce cercle vicieux qu'il s'agit de sortir dans l'analyse. N'y sommes-nous pas d'autant plus pris que l'histoire de la technique montre qu'un accent toujours plus fort a été mis sur le côté moïque des résistances ?

C'est le même problème qui s'exprime encore sous cette forme – pourquoi le sujet s'aliène-t-il d'autant plus qu'il s'affirme plus comme moi ?

Nous revenons ainsi à la question de la séance précédente – quel est donc celui qui, au-delà du moi, cherche à se faire reconnaître ?

 

 

3 FÉVRIER 1954.